HISTOIRE DU KIMONO, EDO (2)

La prospérité économique considérable du 17e siècle a favorisé l'émergence d'une classe citadine dominante (chônin), prospère et dépensière au sein des grandes villes (Kyôyo, Edo, Ôsaka) et l'accroissement de la production qui a suivi, ont fait dire à des historiens que les années Genroku (1688-1704) pouvaient être considérées comme "l'époque de la société heureuse" associée à une phase exceptionnellement créative dans le domaine des arts. La circulation active des biens, la multiplication des magasins et des marchés ainsi que l'amélioration du niveau de vie en sont les témoins. Les retombées de cette poussée économique furent considérables notamment dans le secteur artistique. Cette nouvelle classe citadine, forte de son pouvoir économique, créa des formes d'art riches et sensuelles, libéra le théâtre de ses conventions rigides du passé et insuffla jusque dans la mode une gaieté des formes et des couleurs qui reflétait l'humeur du moment. Une nouvelle culture urbaine et populaire commença à s'épanouir qui préparait le Japon à entrer dans l'ère moderne de la deuxième partie du 19e siècle.

LA CULTURE GENROKU
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La culture populaire de la période de Genroku n'est pas seulement celle de guerriers devenus lettrés ou de riches marchands esthètes, elle est aussi comprise et portée par des couches urbaines plus modestes et par le peuple des provinces entre lesquels existaient un constant va-et-vient. Elle n'était en rien un sous-produit de la culture de l'élite aristocratique ou lettrée. Au 17e siècle, trois groupes dominent la production de cette nouvelle culture créative et récréative: les artistes (écrivains, peintres, acteurs…), les lettrés connaisseurs et les artisans très qualifiés. À côté d'un monde de labeur se développe le monde du loisir avec ses maisons de thé, ses maisons closes, ses établissements de bain, ses théâtres. Les villes japonaises sont en construction et la population masculine (guerriers, artisans, ouvriers…) y est majoritaire. La prostitution prolifère dans les auberges, autour des théâtres, dans les bains publics. Elle sera bientôt interdite et remplacée par l'établissement d'un quartier clos bien délimité, Yoshiwara (à Edo). Sous l'ère Genroku, Yoshiwara d'où émergèrent les arts et les modes au goûts de l'époque,
atteint son apogée avec une débauche de luxe tape à l'oeil et devient un des symboles de la nouvelle classe bourgeoise enrichie par le commerce.
C'est aussi tout un art de vivre japonais qui émerge: habitat, jardin, costume, coiffure, cuisine… En ce qui concerne les femmes, le changement le plus surprenant est que ce ne sont pas elles qui dictent les règles de leur propre image mais les peintres et les écrivains. Le déclin de l'autorité aristocratique et le progrès de la culture bourgeoise n'ont pas libéré les rapports entre hommes et femmes mais au contraire, ont assuré une mainmise masculine sur les critères de la féminité.

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江戸風俗図巻, Scène de genre et divertissement à Edo, Hishikawa Moronobu. La réputation d'une courtisane dépendait de sa beauté mais aussi de l'art et de l'habileté dont elle faisait preuve pour divertir ses clients. Plus grande était sa réputation, plus l'hôte devait être digne de mériter ses faveurs. L'argent avait le rôle central mais la culture, les bonnes manières, le bon goût et le style étaient tout aussi importants.

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Ce célèbre portrait (à gauche) de jeune fille de la classe bourgeoise aisée (1684-88) montre une coiffure et un kosode caractéristiques du début des années Genroku. Les motifs (fleurs de cerisiers et chrysanthèmes) sont disposés sur 3 niveaux: épaules, bas des manches (qui sont arrondies) et bas du kosode. Le obi noué à l'arrière s'est élargi et les deux extrémités retombent de chaque côté.
Hishikawa Moronobu, "Migaeri bijin zu"

ÉVOLUTION DU KOSODE, LE STYLE GENROKU

Les années Genroku (1688-1704) virent naître un style qui persista jusqu'au milieu du 18e siècle. Les épouses et les filles de la richissime classe citadine des villes dépensaient des sommes faramineuses pour acquérir les kimonos de leur choix qui s'apparentaient aux créations haute couture de notre époque. Broderies, tissages précieux et techniques tinctoriales nouvelles avaient alors atteint leur apogée et les représentations d'estampes par des artistes connus et à la mode relayaient cet engouement. Les graveurs d'estampes représentaient les courtisanes de haut rang revêtues de leur somptueux kimonos dans les rues des quartiers de plaisir, contribuant ainsi à la circulation des motifs figuratifs de l'époque.

Le style
genroku concentrait la plus grande partie des motifs des kosode sur le devant, les épaules et le bas du vêtement. Comme pour le style kanbun précédent, les principales techniques utilisées étaient la teinture kanoko-shibori et les broderies.
Des objets usuels (chapeaux, clôtures, rideaux, instruments de musique, bateaux…) devinrent des motifs à la mode et leur disposition sur le kimono continuaient à suivre les codes du style
kanbun. La grande différence se situait dans le jeu du vide et du plein. En effet, pour une classe citadine nouvellement enrichie peu séduite par une esthétique de la sobriété, il fallait montrer coûte que coûte que l'on avait les moyens ! Voilà pourquoi le style genroku se caractérisait par des motifs somptueux et très imposants avec peu d'espaces vides. En cela, il se rapprochait du style des kosode de l'élite de la classe guerrière au cours de la période précédente. Mais cette débauche de luxe nécessita l'intervention shôgunale et la promulgation de lois somptuaires qui réglementèrent l'utilisation des fils d'or, des broderies et des teintures diverses.

En 1696, la mode était au
obi large (18-20 cm) noué dans le dos, ce qui coupait la continuité des motifs. Sa sobriété atténuait l'ensemble et apportait une touche d'élégance. Les fabricants s'adaptèrent et prirent donc l’habitude de répartir les motifs et même de ne décorer que la partie inférieure du vêtement, laissant le centre ou le haut, vide. De nouvelles techniques de teintures firent leur apparition (yûzen some) dans un style très différent et connurent une grande vogue auprès des femmes de la bourgeoisie.

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Sous l'action de l'atelier Kaigetsudô, de nouveaux codes de beauté féminine allaient triompher. Andô Kaigetsudô fut le peintre attitré des courtisanes et des jolies femmes d'Edo. Celles-ci rayonnaient d'une beauté rarement égalée dans l'histoire de la peinture japonaise: belles et altières au corps élancé souligné par les lignes accentuées de leurs kimonos. La promotion du kimono féminin comme véritable oeuvre d'art a correspondu aussi à la technique de teinture sur tissu yûzen-some qui permit de créer des tissus à décors raffinés et colorés accessibles à la classe moyenne. L'évolution de la mode vestimentaire liée au progrès technique allait de pair avec un changement des canons de beauté.

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Courtisanes de haut rang accompagnées de jeunes apprenties dans leurs magnifiques tenues

Le style de l'école Kaigetsudô connut une phase ascendante et créative qui eut une influence considérable entre 1700 et 1725 et qui ne changea guère durant toute son existence jusqu'au milieu du siècle. Les plis des vêtements sont dessinés en lignes douces et les motifs somptueux sont rendus par des coloris riches et nuancés. Les obi sont noués à l'avant comme le voulait la mode de ces années. Les courtisanes sont très souvent représentées pieds nus. Cette conception de la féminité où chaque élément de l'habillement est ordonné, a introduit tout un code esthétique et symbolique dans la tenue vestimentaire auquel les courtisanes du 18e siècle allaient se conformer. Ainsi signifiaient-elles leur rang et leur richesse par le nombre de kimonos qu'elles portaient superposés et dont, à part le dernier, elles ne révélaient que les bords.
La manière de traiter les belles femmes (
bijin) et les scènes de genre de l'école trouva son origine dans les oeuvres d'artistes inconnus de l'époque Kanbun (1661-1673) qui réalisaient des portraits de courtisanes seules ou accompagnées de leurs suivantes (kamuro), de très jeunes fillettes le plus souvent issues des campagnes et vendues à des maisons de thé.
Les oeuvres des Kaigetsudô étaient probablement fabriquées en quantité et vendues comme des marchandises pour faire la promotion des kimonos, de la même façon que nos magazines de mode nous informent des nouveautés de chaque saison.

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YUZEN SOME
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Le terme de yûzen-some vient du nom de son inventeur Miyazaki Yûzensai, un peintre sur éventails et kimonos, actif à Kyôto entre 1684 et 1703. L'originalité de ce procédé venait de ce qu'il permettait d’obtenir des couleurs jamais obtenues avec les techniques précédentes. Ici, on « teignait en peignant »: la teinture était appliquée sur le tissu et le résultat évoquait une peinture. Dans un recueil de 1688 intitulé "Modèles pour yûzen" (Hinakata yûzen), il est dit de lui: "Il respecte le style ancien et s'accorde au raffinement et à l'élégance de notre époque". Les motifs de type yûzen (floraux notamment) se répartissaient sur toute la surface du kosode. La technique n'était donc pas nouvelle car la teinture sur réserve remonte à l'époque de Heian et permettait d'obtenir un dessin précis.

Le dessin préparatoire était tracé avec un colorant végétal qui délimitait chaque couleur et qui pouvait s'effacer. Puis on recouvrait le dessin de colle d'amidon ou de gomme. Au rinçage, ne restaient que les tracés séparant chaque couleur. On appliquait les couleurs au pinceau dans les contours puis on les fixait à la vapeur.
Les possibilités offertes par ces nouveaux procédés permirent l'utilisation d'une gamme élargie de couleurs et de dégradés. Puis, l'ensemble du décor était recouvert de colle et on procédait à la teinture du fond. Le tout était ensuite rincé à grande eau pour éliminer colle et colorant. Le tissu était lissé à la vapeur et il était alors possible de rajouter quelques broderies qui passaient en second plan. Le choix des thèmes et les combinaisons de motifs devinrent plus complexes.

Cette mode séduisit rapidement les femmes de la bourgeoisie citadine et influença l’ornementation des
kosode en réduisant considérablement les prix de fabrication à une époque où les teinturiers rivalisaient pour mettre au point des techniques susceptibles d’élargir les perspectives picturales de leur profession. Grâce au yûzen, la broderie, seul procédé qui permettait d'exprimer librement les motifs, passait au second plan.
Toutefois, sans jamais disparaître, le
yûzen-some passa vite de mode à la faveur de nouvelles compositions et motifs dont la demande ne fit que s'accroître. L'attention fut alors portée sur le style des motifs kôrin (kôrin-moyô) dûs au peintre Ôgata Kôrin (1658-1716), actif à Kyôto. Son style simple et généreux à la fois, une fois reproduit sur les kimonos plut d'emblée et cet enthousiasme ne se limita pas seulement au kimono qu'il avait orné lui-même mais se poursuivit bien au-delà de sa mort, et même après l'ère suivante de Kyôho (1716-36) sans faiblir.

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Kosode peint par Ôgata Kôrin, pour la femme du riche négociant en bois Fuyuki de Fukagawa, qui est aussi désigné par son nom fuyuki-kosode. Des herbes d'automne (aki no nana kusa) sont peintes en noir et bleu sur un tissu de satin.

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Kosode peint par un disciple de Kôrin, Sakai Hôetsu (1761-1828). Fleurs de prunier avec fleurs de pissenlit et violettes sur le bas.

CLASSE GUERRIÈRE VS CLASSE BOURGEOISE

FEMMES DE CITADINS

Les kosode des femmes de la classe guerrière et bourgeoise évoluèrent différemment à partir de cette époque. Les citadines aisées de la classe marchande remplacèrent les satins de leurs vêtements par de la soie chirimen qui mettaient mieux en valeur les motifs obtenus par les nouveaux procédés de teintures (en dehors toutefois de leurs vêtements d'été en lin, katabira). Grâce aux progrès de la teinture yûzen, les motifs occupèrent la surface du kosode à la manière d'un tableau. De plus, les voyages, qui étaient très à la mode au milieu du 18e siècle, favorisèrent cet engouement pour les paysages et l'on vit apparaître sur les vêtements de véritables scènes de paysages célèbres.

FEMMES DE GUERRIERS

Face aux femmes de la classe bourgeoise, éprises de nouveautés et qui furent les premières à préférer et à adopter les nouvelles techniques de teintures, les femmes de la classe des bushi (guerriers), de tendance plutôt conservatrice, réagirent tardivement aux nouvelles modes et continuèrent à préférer les techniques de teintures et les broderies conventionnelles. Conscientes de la supériorité de leur statut social, elles résistèrent certainement à une mode qui ravissait les femmes de classes inférieures. L'évolution de leur kosode poursuivit deux tendances jusqu'à la fin du 19e siècle.

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Jusque dans les années 1716, les motifs dorsaux des kosode furent apposés sur le côté droit, laissant un espace vide plus ou moins large au niveau de la taille et sur la gauche. Un des motifs traditionnels très apprécié (tachiki) montrait un arbre (ici, érable et camélia) disposé sur la droite du kosode et dont les branches, les feuilles ou les fleurs se répartissaient élégamment sur toute la surface. Le même thème ornait également les kosode des citadines fortunées mais sur de la soie chirimen (à droite) et teint selon le nouveau procédé yûzen.

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Un prunier en fleurs est placé sur la droite du kosode en satin, associé à des lettres (kanji) brodées devant et dans le dos qui forment un poème, si l'on a acquis les connaissances et la culture néssaires pour pouvoir le lire.

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Passerelles de bois, eau vive et fleurs de saison composent ce magnifique paysage imaginaire sur la moitié du kosode.

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Après avoir été interdit en 1652 à Edo, le kazuki, ce second kosode dont les femmes se recouvraient la tête lors e leurs sorties, fit son grand retour vers 1703 et sa forme se modifia au niveau du col pour plus de confort.

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VERS PLUS DE SOBRIÉTÉ

Au cours de l'ère Kyôho (1716-1735), les lois somptuaires instaurées auparavant semblèrent peu efficaces face au pouvoir économique de la classe marchande. Le 8e shôgun Tokugawa Yoshimune tente de remédier aux difficultés économiques et sociales qui duraient depuis la fin du 17e siècle en adoptant plusieurs réformes visant à à rationaliser les dépenses.
En 1724, le bakufu publia des lois somptuaires limitant les dépenses privées en matière ce cérémonies, de tissus et vêtements, d'ameublement etc… Ce genre d'ordre fut réitéré presque annuellement pendant les deux décennies suivantes.
Extrait: "Depuis quelques années, la tenue des femmes est de plus en plus ostentatoire. Désormais, même les épouses de daimyô ne devront plus utiliser pour leurs vêtements qu'une petite quantité de broderies de fil d'or et ne plus porter de robes faites de tissus coûteux. Les servantes porteront la tenue simple qui convient à leur position et dans chaque ville le prix fixé pour ces articles sera publiquement annoncé…..Les chemises de nuit, couvre-lit, matelas etc… ne doivent pas être de fins tissus brodés".
Ces détails donnent idée des tendances de la mode et de l'échec du
bakufu a faire appliquer ses lois somptuaires.

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Les lois somptuaires furent également appliquées aux toilettes somptueuses des dames du Ôoku, le lieu où vivait l'épouse (Odaidokoro) du shôgun, c'est à dire les appartements privés du château d'Edo. Aucun homme hormis le shôgun ne pouvait y avoir accès. Les dames en fonction étaient souvent issues de familles nobles de Kyôto et se conformaient à une hiérarchie strictement établie dont le rang le plus élevé était celui de jôrô. Les concubines du shôgun, de rang moins élevé (chûro) pouvaient bénéficier de privilèges lorsqu'elles donnaient naissance à des enfants.

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À cette époque, la disposition des motifs se modifia d'une manière originale en ce sens qu'ils migrèrent vers le haut et le bas du dos du kosode. Les motifs du haut montrèrent tout d'abord des similitudes avec ceux du bas (à gauche) puis peu à peu, ils se différencièrent complètement (à droite). Cette nouvelle tendance, très en vogue dans les années 1720, se retrouve également sur les kosode des femmes de la classe bourgeoise.
Suite aux lois somptuaires du début des années 1720, les motifs se réduisirent autour de l'ourlet (
susomoyô) et les teintures de petits motifs en semis (komon) notamment dans des nuances bleues et marron connurent un grand succès.
Jusqu'à la fin de cette période vers 1740, la disposition des motifs des
kosode des classes citadine et guerrière ne différait guère, en revanche les tissus (satin ou soie chirimen) et les procédés utilisés (yûzen ou broderies et teinture surihitta (motifs kanoko teints) faisaient la différence.
Ce fut seulement au cours de la deuxième moitié du 18e siècle et jusqu'au 19e siècle que les
kosode des femmes de l'élite guerrière se distinguèrent et que la rupture entre les deux styles prit véritablement effet.

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La raison du changement dans la disposition des motifs fut certainement dictée par la largeur des obi en vigueur en ce début de 18e siècle, qui se portaient plus large et plus long, permettant ainsi de nombreuses variations dans la manière de le nouer. Certains noeuds étaient si longs qu'ils pouvaient descendre jusqu'aux geta (1736). Ce sont encore des acteurs de rôles féminins de kabuki (onnagata) qui lancèrent les modes, reprises ensuite avec engouement par les jeunes filles. Les coiffures aussi se transformèrent et les chignons étaient alors à la mode avec de nombreuses variantes. Commencent à apparaître toutes sortes d'ornements, d'accessoires et d'astuces pour les maintenir en place. Le chignon noué à l'arrière est né au cours de ces années.
À gauche, une jeune fille très à la mode avec un
kosode qui arbore des motifs différents en haut (instruments de musique variés) et en bas (ombrelles, étendards). Le obi rayé est long et large). Le style de la coiffure perdurera jusqu'à la fin Edo.

Les teintures et les nouveaux coloris abondent avec une préférence marquées pour les nombreuses nuances marron, ocre, grises, vert kaki… Vers 1727, les tissages rayés hachijô sont très en vogue et apparaissent souvent sur les estampes.
Le motif rayé jaune
ki-hachijô (ci-contre) est lié à une triste affaire qui a probablement fait son succès. La jolie serveuse Shirakoya Okuma, 23 ans, après avoir assassiné son mari, fut arrêtée et exhibée à travers la ville puis exécutée le 25 février 1727.
Lors de ce trajet où une foule de curieux s'attendaient à voir un monstre, elle apparut sur un cheval, revêtue de sous-vêtements blancs et d'un
kosode ki-hachijô (un tissage très onéreux à l'époque) avec un chapelet en cristal autour du cou en récitant des sutra bouddhiques dans une attitude très digne qui fit forte impression. Son histoire inspira de nombreuses pièces de théâtre.

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LES KOSODE DE L'ARISTOCRATIE
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Les motifs des kosode de l'aristocratie faisaient presque toujours référence à cet âge d'or de la culture de cour représentée par la période de Heian (10e s.) avec des éventails pliants en lamelles de cyprès, des chariots fleuris ou des rideaux de bambous décoratifs misu). Pendant la période d'Edo, ces ornements classiques ne sont pas délaissés mais font place aussi aux préférences de chacune avec des thèmes en vogue.

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Les nobles de haut rang et les daimyô continuaient à porter la robe ko-dôbuku avec un pantalon bouffant sashinuki au quotidien.

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SECRETS DE BEAUTÉ
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"La beauté se révèle enfin dans les couches populaires. Les femmes se rasent ou s'épilent les sourcils (à g.), juste après le mariage ou à la première maternité, comme preuve de fidélité. Mais, lorsque l'homme entretient une "seconde épouse" ou une concubine, ces dernières gardent leurs sourcils naturels pour montrer l'infériorité de leur rang par rapport à l'épouse en titre. Les femmes mariées se teignent les dents en noir, tandis que les hommes abandonnent cette pratique. Au 18e siècle, il est de bon ton de mettre du rouge sur les lèvres et non plus sur les joues. À la fin du siècle, on privilégie le visage allongé comme dans les oeuvres de Utamaro. C'est le premier pas vers des beautés différentes véhiculées par les courtisanes et les acteurs de kabuki. Grâce à l'estampe, ce sont eux qui donnent le ton et créent les modes."
Dominique Buisson, Esthétiques du quotidien au Japon

Au cours de la longue période d'Edo, les modes se sont succédé mais une tendance en particulier, lancée par des courtisanes, entraina un engouement sans précédent et marqua la fin du 18e siècle jusque dans les classes populaires, celle du sasa-iro beni. Il s'agissait d'appliquer plusieurs couches épaisses de rouge à lèvres d'excellente qualité (à base de fleurs de carthame et très cher) sur la lèvre inférieure (à d.), qui finissaient par donner une couleur vert irisé puis violet doré, "feuilles de bambou" (sasa-iro beni). Le rouge étant considéré comme un produit de luxe, inabordable pour les femmes ordinaires, elles firent preuve d'ingéniosité en noircissant leurs lèvres dans un premier temps puis en appliquant une fine couche de rouge pour obtenir un résultat comparable.

LES GENS D'EDO

LES MARCHANDS

La société des Tokugawa était considérée comme l'empire des marchands mais en dépit de leur puissance économique, ils restaient exclus du pouvoir politique qui restait sous la coupe des guerriers. Toutefois, ils tenaient leur richesse non seulement du commerce mais aussi de leurs activités de prêteurs et c'est ainsi que beaucoup firent fortune et furent à l'origine des empires économico-financiers du Japon moderne. Ainsi, le système hiérarchisé des Tokugawa aboutissait-il à une sorte d'interdépendance entre daimyô, samurai et marchands qui avançaient les fonds (avec un taux d'intérêt de 10 à 15%) et effectuaient les transactions importantes. Le bakufu faisait également appel à eux pour ses financements tout en continuant à les contrôler et à tenter de restreindre leur pouvoir par des taxes, des lois somptuaires et des confiscations. Il existait notamment des prêts destinés aux divertissements dans les quartiers de plaisir destinés aux fils de riches marchands.

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Les lois somptuaires du régime (1683, 1689 et 1721) qui interdisaient le port de la soie ainsi que les motifs trop voyants furent à l'origine d'un art minimaliste caractéristique de l'époque d'Edo, offrant aux artisans la possibilité de montrer leur talent en donnant naissance à un art de l'esquive, afin de détourner l'austérité des réglementations. Ainsi, verra-t-on de riches marchands faire doubler de tissus raffinés, leurs kimonos banals au premier regard.
Leur tenue officielle était le kataginu (kamishimo) et la tenue habillée se composait d'un kosode, d'un haori avec kamon et d'un hakama. Au quotidien, un haori porté sur un kosode constituait la tenue ordinaire. Seuls les guerriers étaient autorisés à porter des kimonos en taffetas (habutae).
Ce marchand aisé porte un kosode et un haori en papier washi (kamiko) traité pour la confection de vêtement et doublé de soie. Le kamiko était bien connu des gens du peuple mais peu à peu cette matière, par sa beauté et sa capacité à bien garder la chaleur, séduisit les classes plus aisées. La touche iki (chic, dandy) laissait voir sur le papier des textes, des illustrations ou des mots laissés par des courtisanes.

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Ci-dessus, un look iki (élégant, branché, chic…) et un rien provocant d'un marchand aisé du milieu des années Edo qui a retiré une manche de son kosode et de son haori pour montrer son juban en papier kamiko et orné d'illustrations de ôtsu-e.
Vers la fin de Genroku (1703), le haori qui se portait plutôt long jusque là, n'est plus très en vogue et ce sont désormais les haori plus courts à manches longues qui plaisent. Les lois somptuaires avaient beau interdire les vêtements luxueux, elles furent vite détournées: en effet, le luxe se faisait discret aux yeux de tous car il se portait désormais sur les sous-vêtements ou les doublures de haori par exemple.

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Tenue de voyage pour citadin vêtu d'une cape comme celles que portaient les missionnaires étrangers venus au Japon au cours de la période de Momoyama. Avec le temps, la coupe a été modifiée pour être mieux adaptée au goût japonais. Le kosode porté en-dessous est relevé (et pris dans la ceinture) pour faciliter la marche. Une sorte de pantalon étroit momohiki, des jambières, des tabi et des sandales de paille tressée waraji complètent la tenue.

LES ARTISANS

Pendant les deux siècles et demi de fermeture du Japon, les artisans ont mené leurs techniques à la perfection, travaillant pour toutes les classes sociales. Ils contribuèrent à donner naissance aux ustensiles, aux tissus, aux objets, aux formes et aux couleurs qui enrichirent la vie quotidienne et furent à la base de la culture populaire et urbaine. Dans la hiérarchie sociale, les artisans viennent en 3e position après les guerriers et les paysans. Leur vie est mieux connue grâce à une littérature illustrée qui décrit leurs moeurs, leurs outils et leurs techniques. Ils avaient une sorte de code de comportement (shokunin katagi) qui insistait sur la fierté du travail bien fait, l'expérience léguée par les anciens et une profonde solidarité avec leurs compagnons de travail.

LES GENS D'ARMES

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À Edo, les machibugyô (préfets) étaient assistés de subordonnés directs provenant de la classe des guerriers, les yoriki, sortes d'enquêteurs chargés de surveiller et de faire régner l'ordre social. Ils avaient sous leurs ordres les dôshin, samurai de rang inférieur qui les assistaient dans leurs tâches, notamment la garde de prisonniers, l'arrestation de criminels, d'incendiaires ou de voleurs… mais aussi les exécutions (croquis de droite). Ceux-ci étaient immédiatement identifiables par leur apparence unique (kinagashi): sur un kosode quadrillé aux nuances brun-jaune (de style kihachijô), ils portaient un haori noir à kamon (montsuki) qu'ils raccourcissaient en repliant le bas vers l'intérieur et en l'insérant dans leur obi. Sabre et jitte étaient portés à l'horizontale.
Sur le croquis de droite, le dernier personnage du croquis (okappiki) n'est pas un samurai mais une sorte d'homme de main, d'espion souvent ancien malfrat, recruté dans le bas peuple qui assistait le dôshin. Il ne possède pas de sabre, seule l'utilisation du jitte lui était autorisée.
Les yoriki, les lutteurs de sumo et les hikeshi (chargés d'éteindre les incendies) forment le trio de tête des 3 catégories d'hommes les plus iki et les plus populaires d'Edo.

GEISHA ET HAORI

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Au cours de la période d'Edo, parmi les citadins et les paysans, seuls ceux qui bénéficiaient d'un statut privilégié comme les chefs de communautés étaient autorisés à porter un haori. Les femmes ont commencé à le porter au cours des années Genroku mais le gouvernement leur en interdit l'utilisation, le réservant aux seules geisha (tatsumi geisha) du quartier de plaisirs de Fukagawa à Edo.
Dans les années 1655, ce quartier prospéra en tant que port commercial spécialisé dans le bois de construction. Afin de favoriser les rencontres et les affaires des marchands entre eux mais aussi de les divertir, de nombreuses
geisha (hommes et femmes) des autres quartiers affluèrent spontanément. Quotidiennement au contact d'une clientèle franche, spontanée et cultivée, au look élégant et sans vulgarité, elles finirent par en adopter les manières et l'apparence, devenant ainsi l'incarnation d'un style et d'une esthétique iki .
À peine maquillées, pieds nus dans leurs socques même en hiver (une habitude toujours conservée d'ailleurs), arborant une tenue discrète et sobre avec un
haori qui leur donnait un air masculin, sans oublier leur franc parler sympathique, elles divertissaient leurs clients avec des danses, de la musique, des chants, des jeux… sans jamais vendre leurs charmes, ce qui faisait leur fierté. Leurs noms d'artiste étaient à consonance masculine (Ukifune, Aoi, Otoyoshi, Tobiyoshi, ~yakko…), un subterfuge qui permettait à certaines de se protéger en détournant l'attention des incursions du bakufu dans l'enceinte du quartier. Encore aujourd'hui à Tôkyô, de nombreuses geisha portent des noms masculins.
Il faudra attendre la fin du régime des Tokugawa pour que le port du haori soit autorisé à tous.

PAYSANNERIE

Les gens du peuple portaient au quotidien des vêtements de lin et de coton (couramment utilisé à partir du 17e siècle) ornés de motifs shibori très primaires ou teints avec des moules probablement en bois sur des toiles qu'ils fabriquaient eux-mêmes.
Il était interdit aux populations rurales de porter de la soie alors qu'elles la fabriquaient. Les femmes qui réalisaient les travaux liés au tissage confectionnaient avec une grande habileté et un sens de l'économie indiscutable des vêtements à la fois pratiques et esthétiques avec les matériaux dont elles disposaient. Les fêtes saisonnières, religieuses et autres réunions de famille étaient l'occasion pour tous de porter leur plus beaux habits. La matière colorante la plus fréquemment utilisée et la plus répandue était l'indigo. Ce bleu qui en vieillissant s'éclaircit et devient de plus en plus beau, est particulièrement associé aux vêtements ruraux. On pouvait obtenir une infinité de nuances selon le temps de trempage des étoffes dans les bains de teinture. D'autres couleurs issues de matières végétales ou minérales répandues dans la nature (brun, jaune, rouge, gris) se mariaient magnifiquement avec les tons bleus.
Les étoffes fabriquées dans le pays servaient aussi à confectionner du linge de lit pour les
futon (matelas et "couettes").
La technique de broderie
sashiko date de l'époque d'Edo et permettait de renforcer et de repriser les vêtements de travail ou d'épaissir le tissu pour se protéger du froid. Les motifs allaient des plus simples aux plus complexes qui formaient des décors très sophistiqués.

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Dessus de futon rapiécé de tissus d'origine variée

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Tissu teint à l'indigo et reprisé

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