Le shôgunat déjà affaibli par plusieurs crises au cours des années 1830-50 (révoltes sociales sans précédent, famines, pression étrangère) ne parvint pas à maintenir l'ordre et la situation se dégrada progressivement.
L’isolement du Japon n’était pas vu d’un bon œil par les nations occidentales, qui cherchaient à s’implanter commercialement en Extrême-Orient. Pour briser cet isolement, les États-Unis envoyèrent le commodore Perry et une petite flotte, les légendaires « vaisseaux noirs », qui menaçaient de tirer sur la capitale Edo si le Japon n’acceptait pas de signer un accord commercial. Ce dernier résista, mais comprit vite qu’il n’avait d’autre choix que de pactiser.
En 1854, lorsque le Japon renonça à sa politique d'isolement, ce fut tout d'abord en raison de la supériorité de la technologie militaire occidentale et la résistance à l'Occident semblait être une cause perdue. La signature de traités d'amitié et de commerce (inégaux) avec d'autres pays plaça le pays dans une situation semi-coloniale. Il fut contraint à ouvrir les ports de Shimoda et de Hakodate au trafic étranger et à permettre aux marchands d’y établir leurs comptoirs. L’ouverture au commerce provoqua au cours des années suivantes une instabilité politique qui s’acheva par l’accession au trône impérial, le 3 février 1867, du jeune prince Mutsuhito, qui prit le nom de Meiji, le « gouvernement éclairé ». Ce dernier comprit que c’était l’essence même du Japon qui devait changer, ce qui signifiait un bouleversement de sa structure sociale et politique, et une similarité avec les nations occidentales.
Le Japon ne devait plus être féodal, et il fallait instaurer un système parlementaire, avec toutes les conséquences que cela impliquait. C’est avec cet objectif qu’il choisit de prendre le pouvoir réel. Le 9 novembre 1867, le dernier shôgun Tokugawa se démit de ses fonctions, faisant ainsi de l’empereur le seul dirigeant du pays.
Avec l'avènement de l'ère de Meiji (1868-1912) et la restauration du pouvoir impérial, le Japon opéra de profondes réformes et s'occidentalisa. Les anciennes structures (notamment la hiérarchie shi-no-ko-shô) furent balayées et l'empereur abolit la féodalité. Coup fatal pour les samurai qui formaient jusqu'alors la première classe de la société et qui durent rendre leurs terres et leurs hommes à l'autorité impériale (1869) avec abolition du port du sabre.
« Avoir vécu directement la période de transition du Japon moderne fait qu’un homme se sent prématurément vieilli ; car bien qu’il vive désormais à l’époque moderne où l’atmosphère bruisse de discussions au sujet de bicyclettes, de bacilles et de “sphères d’influence”, il peut cependant évoquer un Moyen Âge qui n’est pas si lointain. Le bon vieux samouraï qui initia celui qui écrit ces lignes aux mystères de la langue japonaise tressait ses cheveux et portait deux épées. Ce reliquat de féodalité repose aujourd’hui au paradis. »
Cette citation extraite de l’introduction que rédige Basil H. Chamberlain en 1907 pour son livre Things Japanese résume bien l’ère Meiji : une période de bouleversements au cours de laquelle le Japon sort d’un mode de vie quasiment féodal pour devenir l’une des nations les plus évoluées du monde. Une transformation profonde et rapide, qui étonne et déconcerte encore de nos jours, mais qu’il faut bien appréhender pour mieux comprendre le Japon d’aujourd’hui.
Le Monde, Histoire et civilisations, José Espinoza
En 1868 et 1869 eut lieu la guerre de Boshin qui opposait d'une part les armées des clans de Satsuma (ci-dessus), de Chôshû et leurs alliés (Tosa) et d'autre part les troupes shôgunales d'Edo assistées d'autres clans alliés (Aizu). Le conflit éclata peu après la restitution du pouvoir suprême à l'empereur et marqua une coupure définitive entre la période d'Edo et celle de Meiji. Le financement de cette guerre fut assuré par des emprunts auprès de riches marchands d'Osaka, Edo et Kyôto, ce qui endetta dès le début le nouveau gouvernement de Meiji.
Le film "Le dernier samurai" évoque cet épisode historique dans une version librement adaptée.
Mélange des genres avec, assis au premier rang, de gauche à droite, un fils de marchand aisé et un médecin. Debout de gauche à droite, un étudiant en uniforme, un bretteur et homme de main, un politicien, un docteur en droit, un riche marchand et un haut-fonctionnaire en grande tenue.
Les modes occidentales étaient pratiquement inconnues au Japon avant la restauration de Meiji. Les lois somptuaires adoptées par les shôgun de la période d'Edo imposaient un code vestimentaire qui mettait en évidence le statut social d’une personne. Seuls les nobles et les membres de la classe militaire pouvaient s'offrir des soies richement décorées de broderies, des satins et des brocarts ouvragés.
Une fois les lois abolies par le gouvernement de la restauration, les Japonais étaient désormais libres de s’habiller comme ils le voulaient. Une fois que le couple impérial adopta la tenue occidentale, les fonctionnaires et l’élite éduquée commencèrent à porter des vêtements occidentaux en public. En 1871, l’Empereur rendit obligatoire le port de vêtements occidentaux durant les heures de travail et les activités officielles pour les hauts fonctionnaires. Peu après, les femmes soucieuses de suivre la mode commencèrent elles aussi à porter des robes occidentales en public, suivant l’exemple de l’Impératrice.
Les changements radicaux auxquels ont dû faire face les Japonais de Meiji ont donné lieu à une période de flottement, de désarroi et de confusion que l'on peut observer sur les photos et estampes de l'époque. Le mélange des styles japonais et occidental où cohabitaient kimonos, haori (veste), hakama, chapeaux, parapluies et chaussures perdura pendant quelque temps. Une nouvelle culture prit peu à peu racine dans la vie des Japonais.
Cette estampe représente la gare de Shiodome ouverte en 1872. Certains voyageurs sont en kimono et d'autres arborent des tenues occidentales à la dernière mode, hors de prix et inabordables pour les gens du commun qui continueront à porter leurs vêtements traditionnels. Locomotive et mode occidentale font partie des symboles du progrès de la civilisation.
Au début de l'ère Meiji, les kimonos, toujours bien présents dans la vie quotidienne, perdirent peu à peu du terrain avec l’introduction des coutumes étrangères et un premier courant culturel qui dura une dizaine d'années, caractérisé par l'occidentalisation (bunmei kaika) principalement dans les villes comme Tôkyô (Edo).
Les bouleversements et autres innombrables changements que provoqua l'impact de la culture occidentale furent immenses. Les modes, les coiffures et le maquillage des femmes notamment, se transformèrent pour toujours.
Les lèvres restaient rouges mais le fard blanc (blanc de céruse) utilisé jusqu'alors pour le visage et qui contenait du plomb devint un problème de santé publique (1888). Son usage et son commerce furent interdit par la loi, respectivement en 1900 et 1935. Sous l'influence des critères de beauté occidentaux, les fards blancs (non métalliques) furent délaissés peu à peu et remplacés par des fards couleur "chair", plus naturels et proches des fonds de teint. La teinture des dents en noir fut abolie par la loi.
Peu à peu, les trois couleurs de base du maquillage typique de la période d'Edo (visage blanc, lèvres rouge foncé, sourcils et dents noirs) disparurent faisant place progressivement à des eaux de toilettes, des lotions faciales et des crèmes de soins diverses, des savons et d'autres produits cosmétiques qui inondèrent le marché et se généralisèrent au cours de la période suivante de Taishô (1912-26), même si jusque là, les gens d'Edo utilisaient d'autres produits naturels (sachets de son de riz pour le corps, huile de camélia, d'aloès ou de sésame, eaux parfumées d'iris, hechima, aiguilles de pin, sels, musc…).
L'empereur, l'impératrice ainsi que les leaders politiques prirent l'initiative de porter des costumes européens et le principal problème à affronter pour le gouvernement d'alors était d'être reconnu par les puissances occidentales comme une nation civilisée et de réussir le plus tôt possible à abolir les traités inégaux imposés par elles.
Les hommes qui occupaient des positions officielles furent donc les premiers à adopter les vêtements de style occidental et furent aussitôt suivis par les femmes de la famille impériale, de la noblesse et des grandes familles de daimyô (anciens seigneurs) qui, en raison de leur statut social, devaient apparaître régulièrement en public.
Lorsque la décision fut prise d'abandonner les robes traditionnelles de cour (sokutai, ikan, hitatare, kariginu, kamishimo) pour les tairei-fuku, çes vêtements d'apparat portés principalement lors des cérémonies liées à la cour de l'ère Meiji, on prit pour référence le code vestimentaire français, instauré par Napoléon 1er.
On encouragea également le peuple à adopter les uniformes de style occidental. Militaires, policiers et autres fonctionnaires (poste) furent contraints par la loi de se mettre à cette nouvelle mode. Ceci déclencha un élan particulièrement fort vers les grands changements qui se produisirent dans l’habillement japonais.
Une des premières tâches du gouvernement fut de moderniser le service suranné de la poste. En 1872, un nouveau service est mis en place. Grâce au développement des transports ferroviaires qui se développèrent en même temps et qui donnèrent accès aux provinces éloignées, ce fut un succès immédiat.
En 1883, le gouvernement fit bâtir un palais de style occidental Rokumeikan où furent organisé des bals et invités de grands personnages étrangers avec les épouses d'officiers ou les dames de la haute société japonaise parées de robes occidentales pour démontrer l'européanisation du Japon. Cette année marqua l'apogée d'un européanisme superficiel.
Le Rokumeikan était une petite Europe réalisée au Japon avec tous les clichés de l'Occident que les Japonais concevaient à cette époque. À l'inverse, les critiques des étrangers et de nombreux Japonais face à cette "hybridation" ne manquaient pas.
Extrait de Bal à Yeddo de Pierre Loti: "…ils portent des vêtements européens peu adaptés à leur morphologie, se coiffent de chapeaux ronds qui ont dû faire plusieurs campagnes et chaussent des lunettes bleutées pour dissimuler leurs pensées à l'étranger qu'au fond ils n'aiment pas; d'ailleurs le fonctionnaire n'est pas plus tôt rentré chez lui qu'il retire son déguisement moderne pour passer le costume traditionnel…".
Cette période s'acheva en 1889, année où la tendance idéologique se tourna vers le nationalisme.
Les vêtements de style occidental pour femmes furent introduits dans les années 1880 dans le cadre de la politique d'occidentalisation. En 1886, une directive officieuse de la Maison impériale établit le code vestimentaire féminin de la cour, d'inspiration française, selon 4 rangs: grande robe de cérémonie, robe décolletée et mi-décolletée pour les dîners etc…, robe de cérémonie montante et longue pour les déjeuners à la cour avec personnes de plus haut rang, etc… En 1887, l'impératrice encouragea la production locale de ces robes avec l'utilisation de produits nationaux (ci-dessous).
Un article de l'Asahi Shimbun de 1888 évoquait déjà l'engouement des Japonaises pour Paris et pour les tendances de la mode française. Les revues de mode commencèrent à être publiées vers la fin de Meiji.
Les codes esthétiques et vestimentaires de la fin de la période d'Edo ne disparurent pas immédiatement. Tissages rayés nombreux et variés, petits motifs répétitifs en pointillés (edo komon) sur toute la surface ou représentations diverses sur la bordure de l'ourlet des kimonos étaient toujours en vogue.
Les arts traditionnels (cérémonie du thé (ci-dessus), ikebana,calligraphie…) se pratiquaient en kimono dans les appartements privés du palais impérial. Les représentations du shôgun et de son entourage étaient jusque là interdites.
L'introduction de teintures artificielles et des nouvelles techniques de tissage venues d'Europe causèrent de grands bouleversements au sein de l'industrie textile. Il devint fréquent de voir des kimonos ornés de motifs traditionnels teints selon le procédé yûzen-some en partie à l'aide de ces nouvelles couleurs.
A la fin des années Meiji (début 20e), les motifs floraux d'inspiration occidentale (tulipe, orchidée, dahlia...) tels qu'ils apparaissaient sur les peintures à l'huile de l'époque, annonçaient progressivement une nouvelle ère. Toutefois, les kimonos aux motifs traditionnels restaient réservés aux sorties et événements officiels.
Les couleurs discrètes et sobres (marron, vert, bleu, gris) propres à la période d'Edo continuent à être portées par les hommes et les femmes de tous âges. Ces femmes du peuple arborent des kimonos en coton, rayés ou ornés de petits motifs tissés (kasuri).
Comme on le voit sur ces photos d'époque, les vêtements de travail des artisans et autres métiers traditionnels, étaient de type traditionnel en coton dans des tissages peu colorés avec parfois de petits motifs tissés (kasuri).
L'ouverture des ports au commerce international européen a exercé une influence considérable sur les arts européens dans de très nombreux domaines (céramique, textiles, arts graphiques et plastiques, arts appliqués, architecture, mode, design, mobilier, peinture…).
Les vêtements de soie venus du Japon connurent un énorme succès en Europe et au début de la 2e moitié du 19e siècle, le kimono était à Paris, un accessoire de mode. La plupart des artistes en possédaient plusieurs et certains comme Klimt les collectionnaient. La mode féminine est dominée jusqu'aux alentours de 1900 par le kimono et le mantelet japonais. On pourrait même dire que l'attitude de la Parisienne entre 1860 et 1900 sont directement "importés" du Japon. La longue ligne en S sera d'abord esquissée dans la robe féminine puis complètement adoptée au tournant du siècle. La démarche trottinante, le haut du corps curieusement plié, un peu penché en avant, le bas de la robe en forme de cloche sont des emprunts visibles aux estampes ou aux images du Manga de Hokusai. Ce qui poussait la Parisienne à choisir ce vêtement si particulier, c'était les soies et leurs coloris, décorées de motifs asymétriques qui enthousiasmaient aussi bien les artistes que le monde féminin.
Après 1860, le kimono devint en France une robe d'intérieur très appréciée de la femme. Mais la mode du Japon ne fit pas seulement fureur en France, on s'y intéressait aussi en Angleterre et en Amérique.
Siegfried Wichmann, Le japonisme